Philosophe et logicien étasunien, Charles Pierce est considéré comme l’un des fondateurs du pragmatisme. Il conçoit ce dernier comme une méthode scientifique employée dans l’élaboration d’idées, d’enquête et de recherche.
Après une première lecture attentive, prenez le temps de lire les questions proposées plus bas, puis de relire à nouveau le texte pour formuler vos éléments de réponse.
Charles Peirce (1878) La logique de la science
“Comment se fixe la croyance”
On reconnaît en général la différence entre faire une question et prononcer un jugement, car il y a dissemblance entre le sentiment de douter et celui de croire.
Mais ce n’est pas là seulement ce qui distingue le doute de la croyance. Il existe une différence pratique. Nos croyances guident nos désirs et règlent nos actes (…) Le sentiment de croyance est une indication plus ou moins sûre qu’il s’est enraciné en nous une habitude d’esprit qui déterminera nos actions. Le doute n’a jamais un tel effet.
Il ne faut pas non plus négliger un troisième point de différence. Le doute est un état de malaise et de mécontentement dont on s’efforce de sortir pour atteindre l’état de croyance. Celui-ci est un état de calme et de satisfaction qu’on ne veut pas abandonner ni changer pour adopter une autre croyance. Au contraire, on s’attache avec ténacité non-seulement à croire, mais à croire précisément ce qu’on croit.
Ainsi, le doute et la croyance produisent tous deux sur nous des effets positifs, quoique fort différents. La croyance ne nous fait pas agir de suite, mais produit en nous des dispositions telles que nous agirons de certaine façon lorsque l’occasion se présentera. Le doute n’a pas le moindre effet de ce genre, mais il nous excite à agir jusqu’à ce qu’il ait été détruit. Cela rappelle l’irritation d’un nerf et l’action réflexe qui en est le résultat. Pour trouver dans le fonctionnement du système nerveux quelque chose d’analogue à l’effet de la croyance, il faut prendre ce qu’on appelle les associations nerveuses : par exemple, l’habitude nerveuse par suite de laquelle l’odeur d’une pêche fait venir l’eau à la bouche.
L’irritation produite par le doute nous pousse à faire des efforts pour atteindre l’état de croyance. Je nommerai cette série d’efforts recherche, tout en reconnaissant que parfois ce nom n’est pas absolument convenable pour ce qu’il veut désigner.
L’irritation du doute est le seul mobile qui nous fasse lutter pour arriver à la croyance. Il vaut certainement mieux pour nous que nos croyances soient telles, qu’elles puissent vraiment diriger nos actions de façon à satisfaire nos désirs. Cette réflexion nous fera rejeter toute croyance qui ne nous semblera pas de nature à assurer ce résultat. La lutte commence avec le doute et finit avec lui. Donc, le seul but de la recherche est d’établir une opinion. On peut croire que ce n’est pas assez pour nous, et que nous cherchons non pas seulement une opinion, mais une opinion vraie. Qu’on soumette cette illusion à l’examen, on verra qu’elle est sans fondement. Sitôt qu’on atteint une ferme croyance, qu’elle soit vraie ou fausse, on est entièrement satisfait. Il est clair que rien hors de la sphère de nos connaissances ne peut être l’objet de nos investigations, car ce que n’atteint pas notre esprit ne peut être un motif d’effort intellectuel. Ce qu’on peut tout au plus soutenir, c’est que nous cherchons une croyance que nous pensons vraie. Mais nous pensons que chacune de nos croyances est vraie, et le dire est réellement une pure tautologie (…)
Adhérer obstinément à une croyance et l’imposer arbitrairement aux autres sont donc deux procédés qu’il faut abandonner, et pour fixer les croyances on doit adopter une nouvelle méthode qui non seulement fasse naître une tendance à croire, mais qui détermine aussi quelles propositions il faut croire.
Questions :
- Comment Peirce définit-il la croyance et le doute ? Comment les positionne-t-il l’un par rapport à l’autre ?
- Quelle est la valeur du doute ?
Pour aller plus loin : Peirce (1878) Comment se fixe la croyance, dans La logique de la science.