Martinet (2014) Travail épistémique

Posture, non ; mais travail épistémique ? oui sûrement (non publié)

Osons ce superlatif incorrect pour indiquer combien un travail épistémique exigeant et rigoureux, mené chemin faisant tout au long du processus de recherche augmente les possibilités d’aller encore plus loin, au-delà (​meta odos​) de ce que permet le seul maniement correct des méthodes de traitement des données empiriques. Ce travail épistémique peut d’abord être perçu comme un travail réflexif sur le corpus de connaissances manipulé. Il est plutôt le fait de chercheurs chevronnés, capables d’embrasser un vaste champ de littérature et d’en faire une lecture et une critique archéo-généalogiques. Mais il n’est pas impossible de s’y livrer dans le cadre d’une recherche doctorale en spécifiant soigneusement un espace-temps sous examen.

De façon plus générale, ce travail épistémique peut être recommandé dans le cadre de toute recherche dès lors que l’on ne se satisfait pas d’annoncer une fois pour toutes, en début de thèse, la « position épistémologique » choisie pour ne plus avoir à y revenir ensuite. Ce travail épistémique peut être assimilé à une volonté de cohérence et de pilotage du processus de recherche de façon à donner, maintenir et évaluer jusqu’à l’achèvement : le sens, les orientations, la cohérence et la synergie, l’efficacité et l’efficience de ce processus… questions et critères qui remplissent et dépassent les critères de rigueur et de pertinence traditionnellement brandis dans les débats académiques. Il s’agit donc d’un travail sur le « design » de la recherche, sur les objets, les concepts, les données, les langages et sur les passagers clandestins qu’ils véhiculent. Ce travail permet une ouverture des objets et des projets de recherche comme des cadres épistémologiques, bien au-delà du positivisme régnant et des contraintes excessives et illégitimes qu’il tend à imposer à tous. Comme le dit Michel Serres, d’abord philosophe des sciences, l’épistémologie est un art d’inventer (…)

Ainsi à la connaissance vue comme fin ultime qui justifie l’accumulation a-historique de « résultats » stockables, fournissant une bibliothèque sinon les pièces d’un puzzle dont on espère bien naïvement…ou immodestement…qu’elles finiront par livrer le plan de câblage ultime, facétieusement dissimulé par le Grand Créateur, on peut opposer une connaissance rigoureusement établie mais dont la validité réside dans les schèmes pour l’action qu’elle met au jour, révèle, critique, suggère… Connaissance, modeste, instrumentale, fournissant des jeux de cartes utiles aux acteurs pour se repérer, orienter la conception et le pilotage de leurs activités en plus grande sûreté intellectuelle. S’impose alors la démarche de l’enquête scientifique, au sens de Dewey, où il s’agit d’articuler des situations indéterminées ou magmatiques en forgeant des structures logiques qui potentialisent des actions inédites plutôt que de se cantonner à piocher dans le corpus des hypothèses causales pour les valider sur des données empiriques sans assumer leur inéluctable historicité, soigneusement dissimulée sous le tapis de la généralisation.