Weick (1991) Theory Construction as Disciplined Imagination

Qu’est-ce qu’une théorie ?

La compréhension des termes « théorie », « validation » et « qualité de la théorie » est essentielle à la compréhension du modèle. La théorie est une dimension plutôt qu’une catégorie (Mohr, 1982, p. 6 ; Runkel & Runkel, 1984, p. 129-130), ce qui signifie que plus une généralisation satisfait aux critères d’une théorie, plus elle mérite l’appellation de théorie. Par théorie, nous entendons « un ensemble ordonné d’assertions concernant un comportement ou une structure générique, supposé se vérifier dans un large éventail d’instances spécifiques » (Sutherland, 1975, p. 9). Les dimensions sous-jacentes à cette définition sont indiquées par les termes « ordonné », « générique » et « étendue ». À mesure que les généralisations s’organisent de manière hiérarchique, les comportements et les structures qu’elles décrivent deviennent plus génériques, et plus l’éventail des instances spécifiques expliquées s’élargit, plus les idées qui en résultent méritent l’appellation de théorie. Les termes « vérification » et « validation » sont utilisés indifféremment pour désigner la démonstration, au-delà du simple hasard, de l’existence de la relation ordonnée prédite par une hypothèse, et qui, de ce fait, conforte cette hypothèse (adapté de Lastrucci, 1963). Autrement dit, la preuve consiste en la vérification d’un énoncé probabiliste. Comme le souligne Lastrucci (1963) :

Ainsi, par exemple, affirmer que la théorie des caractères héréditaires a été « validée » en la démontrant dans un certain nombre de cas prévisibles revient à dire que la relation exprimée est fiable. De plus en plus, les scientifiques tendent à éviter d’établir des liens de causalité en considérant la vérification comme une expression de grande fiabilité (p. 236-237). Enfin, une bonne théorie est une théorie plausible, et une théorie est jugée plus plausible et de meilleure qualité si elle est intéressante plutôt qu’évidente, non pertinente ou absurde, si elle est évidente d’une manière inédite, si elle révèle des liens inattendus, si elle présente une forte rationalité narrative, si elle est esthétiquement plaisante ou si elle correspond aux réalités présumées. Chacun de ces résultats est plus probable lorsque les théoriciens élaborent des énoncés de problèmes plus complets, créent des essais de pensée plus diversifiés et appliquent de manière plus cohérente de multiples critères de sélection à ces essais.

L’imagination disciplinée

Lorsqu’ils élaborent une théorie, les théoriciens conçoivent, mènent et interprètent des expériences théoriques. Ce faisant, leurs activités s’apparentent aux trois processus de l’évolution : variation, sélection et conservation. Puisque c’est le théoricien, et non la nature, qui guide intentionnellement le processus évolutif, la théorisation s’apparente davantage à la sélection artificielle qu’à la sélection naturelle, et cette ressemblance se renforce à mesure que le processus est dominé par la validation et l’empirisme.

Le parallèle étroit entre l’élaboration de théories et les processus évolutifs peut être illustré par l’exemple de la navigation maritime par radar. Imaginons un navire naviguant de nuit sur une voie navigable encombrée de remorqueurs, de barges, de rochers et d’objets fantômes apparaissant parfois sur les écrans radar. Le problème consiste à éviter les collisions avec ces objets réels. Pour le résoudre, des variations dans les émissions radar simulent les itinéraires possibles entre ces objets. Les critères de sélection des itinéraires reposent sur les émissions radar réfléchies par ce qui est présumé être des objets réels. Le résultat de ce processus est la sélection d’itinéraires évitant les échos. Différents itinéraires sont simulés ; la plupart rencontrent des échos et sont rejetés, mais quelques-uns n’en rencontrent aucun et sont conservés. Ces processus évolutifs sont guidés par des représentations de l’environnement, et non par l’environnement lui-même. Les émissions radar se substituent au déplacement réel dans l’environnement. Les échos de ces émissions se substituent aux objets réels, et la sélection d’itinéraires sans écho se substitue au contournement réel des objets rencontrés.

L’élaboration de théories implique un processus analogue. Le contexte, pour les besoins de cette illustration, est la navigation maritime de nuit au radar. Cependant, ce contexte prend ici la forme d’une représentation construite à partir d’entretiens, de rapports d’accidents, d’observations directes et d’intuitions. Le problème est de comprendre pourquoi les capitaines de navire utilisant le radar entrent souvent en collision avec les objets visualisés sur leur écran, y compris d’autres navires également équipés de radars (Perrow, 1984, p. 214). Pour résoudre ce problème, des conjectures variées simulent différents scénarios susceptibles d’expliquer les collisions, tels que l’incompétence, une conception défectueuse du matériel, des illusions d’optique, le stress, la fatigue et les règlements d’assurance. Les critères de sélection d’une conjecture reposent sur son intérêt, sa plausibilité, sa cohérence et sa pertinence. À l’issue de ce processus, le théoricien retient ou rejette une conjecture. Par exemple, une conjecture susceptible d’être retenue suggère que les capitaines, face à des panneaux ambigus sur leurs écrans, les interprètent de la manière la moins dangereuse possible, en supposant la réalité la plus sûre (Perrow, 1984, p. 217). Privilégiant les interprétations sûres, les capitaines n’entreprennent de manœuvres d’évitement que lorsqu’il est trop tard.

Là encore, l’élément clé est que ce processus est guidé par des représentations. Les critères de sélection sont particulièrement remarquables car c’est là que le processus de théorisation se rapproche le plus de la question de la validation et de ses substituts. Le critère de sélection parmi les émissions radar était la présence ou l’absence d’échos, considérés comme des substituts de collisions réelles. Le critère de sélection parmi les essais de pensée était la présence ou l’absence d’un jugement affectif (par exemple, « c’est intéressant », « c’est absurde »), considéré comme un substitut de confirmation ou d’infirmation. Ni l’écho ni le jugement ne fournissent de preuve directe d’objets réels ou d’idées valides. Pourtant, les actions ultérieures se déroulent comme si la preuve était directe.

L’itinéraire de navigation est modifié, la conjecture intéressante est combinée à d’autres conjectures, et dans les deux cas, on observe une rétention sélective des variations qui satisfont un ou plusieurs critères. Les obstacles sont plus susceptibles d’être évités et les problèmes théoriques plus susceptibles d’être résolus lorsque le problème est représenté avec plus de précision et de détails, avec des hypothèses plus explicites, à mesure qu’un plus grand nombre de variations hétérogènes sont générées et que des critères de sélection plus diversifiés sont appliqués de manière plus cohérente aux variations générées. Les modifications apportées à ces dimensions du processus d’évolution et d’élaboration de théories devraient avoir un effet significatif sur la qualité des résultats produits par ces processus.